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La source audiovisuelle est d’une richesse irremplaçable pour l’enseignement de l’histoire du XXe siècle. L’histoire politique ne peut pas se priver d’étudier ces moyens d’information et de propagande que constituent les médias audiovisuels. L’histoire culturelle ne peut négliger l’émergence de la culture de masse dont le développement paraît inexorablement lié aux médias de masse. L’histoire des mentalités ne peut se priver de l’incidence des médias sur les comportements sociaux et sur les représentations.
Pour les images d’actualités diffusées dans les cinémas ou à la télévision, l’intérêt a été plus tardif. Pour des raisons d’ordres divers, les historiens n’ont pas cru bon de s’intéresser à la télévision comme source d’histoire. Néanmoins, depuis une trentaine d’années, la prise de conscience s’est faite progressivement que l’image et le son avaient acquis une importance trop évidente pour que l’apport en soit négligé par l’histoire de notre temps.
Les documents proposés sont issus de sources diverses. Ils proviennent soit de la presse filmée (Pathé, Gaumont, Actualités françaises) diffusée dans les salles de cinéma et parfois reprise par la télévision, soit d’images (magazines d’information, journaux télévisés, documentaires) tournées et diffusées pour et par la télévision française (RTF, ORTF, puis les chaînes qui lui ont succédé depuis 1975) ou encore de fonds radiophoniques.
Avec l'invention de la photographie et du cinématographe, l'armée s'interrogeait depuis la fin du XIXème siècle sur la possibilité de filmer la guerre, sans doute plus à des fins de renseignement militaire qu'à des fins de propagande.
La Première Guerre mondiale marque la naissance de l'audiovisuel militaire et l'évolution vers un cinéma de propagande. Au début de la guerre, l'activité cinématographique fut totalement suspendue, pour des raisons matérielles (réquisitions des studios et des usines de pellicules) et militaires (les autorités militaires interdisent toute prise de vue dans la zone des armées). Les images de l'année 1914 sont ainsi soit des reconstitutions postérieures, soit des images isolées prises par des cameramen mobilisés. La fin de la guerre de mouvement constitue un tournant avec la nécessité d'informer l'opinion d'un conflit qui s'éternise tout en essayant de mobiliser la population au service de l'effort de guerre. En février 1915 sont créées la Section photographique de l'armée (SPA) et la Section cinématographique de l'armée (SCA). Les prises de vues tournées sont ensuite passées au crible de la censure militaire avant d'être mises à la disposition des sociétés Gaumont, Pathé, Eclair…qui montent les sujets et assurent leur projection dans les salles. La manière de filmer le conflit évolue au cours de la période. En 1915, pour des raisons techniques (difficultés de se déplacer avec les caméras) et de censure (maintien de l'interdiction de filmer les zones de combats), la grande majorité des reportages porte sur des scènes se déroulant à l'arrière des lignes (manœuvres, démonstrations d'artillerie…). En 1916, lors de l'offensive de la Somme, cameramen et photographes sont pour la première fois autorisés à filmer en première ligne. Les images deviennent ainsi plus réalistes mais la vision des combats restait forcément limitée, s'arrêtant en bordure du champ de bataille. La censure continue également à veiller à ce que l'on ne montre pas d'images trop violentes (il était ainsi interdit de montrer des morts, sauf s'il s'agissait de soldats ennemis). A la fin du conflit, même s’ils continuent d’offrir une vision très restrictive de la guerre, les reportages apparaissent beaucoup moins naïfs et plus réalistes. Les spectateurs de toute façon n'étaient pas dupes et savaient très bien différencier les images réelles des mises en scènes et reconstitutions.
Les documents l’entre deux guerres sont issus des journaux de presse filmée diffusées par les sociétés Pathé et Gaumont et de sources radiophoniques comme Radio PTT.
Pour la période 1940-1969 les documents proviennent majoritairement du fonds de la presse filmée dont a hérité l’Ina (Actualités françaises). Les Actualités Mondiales furent fondées en juillet 1940. Elles prendront le nom de France Actualités en août 1942 et de France libre Actualités en 1944 avant de prendre le titre des Actualités françaises dès 1945. Cette société disparaît en 1969. Son fonds d’archives est acquis par l’ORTF. Ces années sont celles de l’âge d’or de la presse filmée. La télévision est en effet très loin de couvrir l’ensemble du territoire national et fait encore figure de média sans public. L’équipement des Français est lent. En 1949, on recense 37 000 récepteurs; en 1953, 60 000, avec l’effet bénéfique de la retransmission en direct du couronnement d’Elisabeth II le 2 juin 1953. L’heure est encore à l’écoute collective dans le cadre des télé-clubs qui regroupent les téléspectateurs à l’échelon local (quartier ou village), dans une mairie, dans une école. A contrario, les salles de cinéma attirent un public important et régulier, assurant aux journaux hebdomadaires d’actualités un public fidèle et assidu. Les journaux des Actualités françaises sont composés d’images tournées par leurs propres équipes en place mais également des sociétés concurrentes de presse filmée (Pathé, Eclair et Fox). Des sujets généralement très courts (40 secondes), très enchaînés, couvrent l’information politique dans ses aspects les plus institutionnels.
A partir des années 60, les documents provenant du fonds de la télévision française (RTF/ORTF/chaînes nationales hertziennes) se substituent progressivement aux sujets de presse filmée. Il faut en effet attendre la fin des années 50 pour que la télévision devienne le média dominant. De 1958 à 1968, le taux d’équipement des ménages passe de 5 % à 62 %, tandis que le réseau se développe, qu’on inaugure la seconde chaîne (1964), puis la couleur (1967). Progressivement, la télévision devient la source d’information dominante. Et elle apparaît vite comme un outil taillé à la mesure du nouveau régime présidentialiste. Avec le général de Gaulle, la télévision devient un canal privilégié de la communication élyséenne. Dès lors, l’enjeu « télévision » croît : la stabilité du régime, les tensions résultant des guerres de décolonisation et la conviction de plus en plus répandue que la télévision exerce une influence décisive, politisent plus encore le débat sur l’audiovisuel. Gaullisme d’Etat rime donc avec contrôle, particulièrement pour ce qui touche à l’information télévisée. Les directeurs de l’information, «politiques journalistes» d’obédience gaulliste, se succèdent à un rythme rapide. Le JT (Journal Télévisé), aux accents gaulliens, est fade; l’opposition y est proscrite, les conflits sociaux étouffés et l’image de la France étroitement filtrée. La censure est chronique. La télévision reste considérée, dans une conception héritée de la IVe République qui choque peu, comme un «instrument magnifique de soutien de l’esprit public», (de Gaulle, 1963). L’information devient un genre essentiel. Quelques signes annoncent un desserrement de l’emprise politique. La campagne présidentielle de 1965 en est une clé. Dès 1966 Face à Face (formule américaine des Meet the Press) inaugure le pluralisme télévisuel. La libéralisation se traduit encore dans l’évolution de la production de magazines : Cinq Colonnes à la Une (1959), Zoom (1965) jouissent d’une plus grande liberté de ton et de mouvement. Cela dit, ils continuent d’éviter la politique intérieure avec soin, s’en tenant à leur secteur de liberté : l’étranger, l’économie, les sciences et les phénomènes de société.
Après 1968, l’histoire de la télévision s’accélère. La création de deux unités autonomes d’information dirigées par Pierre Desgraupes (1ère chaîne) et Jacqueline Baudrier (2ème chaîne), marque une étape essentielle dans le processus de libéralisation de l’information télévisée et permet de briser «le tabou de la télévision une et indivisible». L’idée de concurrence, implicitement contenue dans l’acceptation du principe de multiplication des chaînes, s’accroît encore avec la création de deux directions autonomes (1970).
Cette évolution est consacrée par la réforme de 1974. En substituant à l’ORTF sept unités de taille opérationnelle fonctionnant comme des sociétés privées avec des obligations de service public (TF1, A2, FR3, Radio France, SFP, INA,TDF), cette loi représente à la fois l’aboutissement d’un processus et une rupture importante dans l’histoire de la télévision française. Si les nouvelles chaînes, emportées par la concurrence, ont plus d’autonomie de gestion, les postes clefs seront, pour l’essentiel, toujours réservés à des professionnels de confiance. L’information politique se transforme. L’équilibre des temps de parole est désormais à peu près respecté, le droit de réponse et le droit de réplique institués. En outre, dans le temps où le débat politique se déplace du Parlement vers les médias audiovisuels, on assiste à une relative professionnalisation de la communication politique. Le duel entre les deux présidentiables de 1974 est la matrice de cette mutation essentielle qui transforme les rencontres politiques en grandes messes audiovisuelles. De leur côté Cartes sur Table, Le Club de la Presse familiarisent le défilé des politiques. Et quand ces derniers s’initient aux règles du débat audiovisuel, les journalistes découvrent la liberté de ton, la critique. Toutefois, les tensions internes à la majorité et la proximité d’échéances électorales décisives entraînent d’inévitables périodes de resserrement du contrôle.
A partir de 1981, le paysage audiovisuel français se transforme. La loi du 29 juillet 1982 consacre la fin du monopole d’Etat, mais la nouvelle liberté est strictement «encadrée» et la logique de service public prévaut. Cependant, la machine s’emballe sans qu’aucune réflexion théorique et critique ne soit véritablement menée. La publicité est accordée aux radios locales (1984), des chaînes privées sont créées : Canal + en 1984, la Cinq et la Six en 1986, accompagnées par la loi sur les télévisions locales privées (1985). La révolution est complétée par un ambitieux plan câble et la réactivation des négociations sur la diffusion satellitaire. La logique libérale qui prévaut avec le retour la majorité UDF-RPR de 1986 accentue la privatisation. Celle de TF1, emblématique, la disparition de la concession de service public puis la privatisation d’Havas (qui entraîne celle de Canal +, jusqu’alors contrôlée majoritairement par des capitaux publics) abattent définitivement le vieux système. La réélection de François Mitterrand n’entrave pas cette évolution malgré deux réformes (1989). La création d’ARTE en 1992 et son installation sur le réseau hertzien apparaît comme le dernier sursaut culturel du service public. Néanmoins, la mutation a ouvert une nouvelle plaie : l’équilibre entre les deux secteurs est introuvable. Le secteur public, concurrencé, cherche une identité en dépit de l’institution d’une présidence commune (1989) et de la holding France télévision (1992) destinées à renforcer sa cohésion. Quant au secteur privé, il n’atteint pas la stabilité comme le prouve la mort de la Cinq en 1992.
Avec la concurrence, le ton change. La multiplication des chaînes thématiques pour les jeunes, les amateurs de sport ou de cinéma bouleversent les habitudes. Même si les chaînes généralistes continuent de dominer le marché, la nature même de leurs programmes s’est modifiée évoluant d’une télévision de rendez-vous à une télévision de flux. Les vieux genres télévisuels sont bousculés. La télévision se fait d’abord divertissante à toute heure. Les dramatiques, les feuilletons sont supplantés par les fictions et les séries américaines, l’information-spectacle et les reality shows qui caractérisent désormais cette nouvelle télévision.
Les habitudes des téléspectateurs se modifient également. Ce n’est pas tant la quantité regardée : 213 minutes par jour et par personne en 2003 contre 132 minutes en 1976. Mais le multi-équipement favorise l’écoute individuelle au détriment de l’écoute collective. On choisit désormais plus vite, on zappe (4/5 des ménages ont une télécommande, plus de 60% un magnétoscope).
Cette croissance de la télévision a suscité et suscite encore beaucoup d’inquiétude quant à son influence grandissante sur les comportements politiques, sociaux, culturels, moraux des téléspectateurs. En dépit des nombreuses recherches menées, en particulier par les sociologues américains, cette influence reste très difficile à mesurer. Toutefois, les chercheurs s’accordent désormais pour dire que les médias de masse renforcent les opinions plus qu’ils ne les modifient. Cela étant, les médias audiovisuels ont sans nul doute élargi la vision des individus en construisant, selon la formule de Jean Cazeneuve, «la société de l’ubiquité».
Agnès Chauveau, Fabrice Grenard
source: http://www.ina.fr/fresques/jalons/historique-des-sources