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A l'âge de la société de la communication et du numérique, la "presse papier" nous apparaîtrait presque comme un média d'un autre temps. Pourtant, elle fut le premier média de masse de l'âge industriel. La presse au sens moderne du terme naît avec l'utilisation des premières presses mécaniques anglaises aussi appelées presses Koenig. Inventées par l'ingénieur Friedrich Koenig, elles furent employées pour la première fois par le journal britannique The Times (1814). Elles ne sont utilisées en France qu'à partir des années 1820. Ces machines fonctionnent grâce à l'énergie fournie par la machine à vapeur. La presse est donc la fille de l'âge industriel.
Les machines Koenig (voir illustration ci-contre) permettent des tirages recto de 1000 à 1500 pages à l'heure. Comme le souligne l'historien Christophe Charle, elles nécessitent des locaux très vastes et spécialisés. D'autre part, elles présentent un certain nombre de limites techniques. Avant l'adoption de la stéréotypie qui permet la reproduction des compositions, il faut une équipe de compositeurs par machine. Cela ralentit considérablement le tirage.
Ces contraintes ne commencent à être dépassées qu'avec les travaux du mécanicien et fabricant de machines à imprimer Hippolyte Auguste Marinoni. En 1847, ce dernier invente la première presse française à réaction permettant des tirages recto-verso pour répondre à une commande du patron de presse Emile Girardin. Elle imprime 6000 pages à l'heure. La vitesse d'impression est donc multipliée par quatre par rapport aux presses Koenig. Grâce à cette technique, les tirages quotidiens atteignent les 100000 exemplaires pour un journal autour de 1848. Dans sa lancée, Marinoni développe et améliore ses machines dans le cadre de sa Société qu'il crée en 1847. En s'appuyant sur les travaux de Jacob Worms, il crée la première rotative de fabrication française fondée sur le principe "cylindre contre cylindre" qui est utilisée pour la première fois en 1866 pour imprimer Le Petit Journal (Les 900 000 exemplaires sont atteints pour ce journal en 1890). Marinoni succède à Emile Girardin à la tête du Petit Journal en 1883. En 1889, il dépose un brevet concernant la presse rotative à imprimer en couleur. Peu après, il lance Le Petit Journal illustré, un supplément hebdomadaire, avec lequel il fait entrer la couleur dans la presse. C'est l'acte de naissance de la presse à sensation.
A ces mutations de l'imprimerie, il faut ajouter les transformations qui concernent la production du papier qui s'industrialise avec l'invention de la première machine à papier par Louis Nicolas Robert en 1798. Les machines à papier se modernisent au cours du XIXème siècle pour répondre aux demandes de plus en plus importantes de la presse. C'est l'apparition de la rotative à la fin du XIXème siècle qui fait littéralement exploser la demande.
Les contraintes techniques ne concernent pas seulement la production mais aussi la diffusion de la presse. Malgré l'affirmation du chemin de fer, les contraintes dans ce domaine restent importantes jusqu'à la fin du XIXème siècle comme le souligne Christophe Charle: "Jusqu'à 250 km de Paris, le retard (de livraison) est d'une journée, jusqu'à 400 km de deux jours. (...) C'est pourquoi la presse de l'époque est essentiellement une presse d'opinion qui donne une interprétation des événements bien plus qu'un récit de ceux-ci au jour le jour" (Le Siècle de la Presse, UH, 2004).
A ces contraintes techniques, il faut ajouter des contraintes politiques, sociales, économiques et culturelles. Le prix du journal ne s'allège qu'à partir des années 1830 avec l'utilisation croissante du papier et de l'encre industriels. Le premier journal à 5 centimes est Le Petit Journal fondé en 1863. Mais les frais de poste et le droit de timbre alourdissent considérablement le prix des journaux à la vente jusqu'en 1870. Une autre limite à la diffusion est le contrôle étroit qu'exerce le pouvoir politique sur la presse jusqu'à la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Enfin, il faut souligner le difficile accès de larges couches de la population à ce type de média jusqu'aux lois Ferry de 1881-1882.
Dans l'entre-deux-guerres, les tirages continuent d'augmenter. Ils atteignent et dépassent les deux millions d'exemplaires pour certains journaux. La presse et l'imprimerie industrielle dans leur ensemble s'imposent comme de puissants moyens de propagande dont différents courants politiques savent tirer partie. L'impact de la presse sur la formation des opinions ne peut se mesurer en fonction du seul tirage des journaux. Comme le remarque l'historien Christophe Charle, il existe de multiples "circuits invisibles de diffusion".
N.-B.: La "presse papier" ne disparait pas à l'âge du numérique même si elle connait un léger recul ces dernières années quant à ses tirages. Elle se modernise dans ses méthodes et dans ses techniques.